Un anonymat masqué

Les enfants en bas âge apprennent beaucoup par observation de notre visage, le sourire, les mimiques, les yeux et notre parole. Ils peuvent ainsi décoder nos émotions, nos humeurs et notre bouche qui prononce des mots. Ils peuvent se rassurer et s’intéresser à notre personne. Or, lorsqu’on se cache une partie du visage avec un masque, on assiste à un phénomène de sous-stimulation de leur développement global. Ça devient de plus en plus inquiétant à mesure que passent les mois masqués.

Pour nous en clinique, aussi masqués que les autres, le phénomène est extrêmement contraignant. Il nous rend incapable de bien apprivoiser l’enfant, de comprendre ses émotions et de bien le servir. Je me permets donc régulièrement de baisser ce masque qu’on ne saurait voir et de demander à l’enfant de le baisser aussi, pour me montrer son visage à découvert, pour observer ses expressions si importantes pour notre rapprochement et notre analyse de son état de santé global. 

Dernièrement, un enfant de cinq ans était venu en clinique pour un possible trouble de la communication et de la socialisation, avec hypothèse d’autisme. Comme nous, il était masqué, assis de l’autre côté du fameux plexiglas.  Je n’arrivais pas à comprendre ce qu’il voulait nous dire. Je ne pouvais pas non plus capter son regard. Je lui proposai d’enlever son masque, ce qu’il fit sans hésiter.   Nous découvrîmes un beau sourire. L’enfant prononça alors quelques mots et je notai alors un accent subtil, comme s’il parlait « à la française » – ce qui est plutôt inhabituel chez un enfant du quartier. On nous rapporta qu’il jouait beaucoup avec de petites autos, souvent seul. La possibilité diagnostique se précisait. 

En l’observant prononcer plus de mots, je notai une difficulté à sortir les sons de sa bouche et une difficulté à l’articulation. Il commença à s’intéresser à nous, et tout le tableau changea progressivement. Avec l’observation du visage, on découvrit donc un autre enfant qui n’est pas autiste du tout. 

L’anonymat à deux ne peut que nous éloigner. Gardons donc le meilleur des deux mondes pour le moment, et pour le futur, on se lave les mains le plus souvent possible ; on essaie de se distancer. 

Le masque a sans doute son utilité pour diminuer les risques dans les lieux de grande affluence, surtout en cette période particulièrement sensible. On ne s’entend pas sur son efficacité ou sa valeur réelle, mais mieux vaut prévenir que guérir !  Peut-on se garder une petite gêne pour le masque dans des lieux sécuritaires ?  Après tout, nous ne sommes pas une race d’anonymes !

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