Dans la même semaine, j’ai vu en clinique trois jeunes filles de 11 ans, chacune avec une histoire de vie spéciale, triste, révoltante et d’une intensité désarmante . Je me questionne encore sur le pourquoi et surtout sur le comment on peut être aussi résilient à un si jeune âge, dans de telles adversités. Laissez moi vous raconter brièvement leur histoire.

Karine, 11 ans se présente avec sa mère et une éducatrice de la DPJ. Elle est de retour depuis peu chez sa mère après cinq ans de familles d’accueil. On l’avait placé à l’âge de 5 ans parce que la maman avait été jugée négligente et pas du tout capable de s’en occuper adéquatement La dernière famille n’était pas adéquate non plus et un retour dans sa famille naturelle a alors été jugé plus sécuritaire.
Pendant ces cinq années, Karine fut ballotée dans cinq familles d’accueil différentes et elle a fréquenté huit écoles différentes. Elle a accumulé ainsi plusieurs retards académiques qui la mettent en difficulté d’apprentissage difficile à récupérer. Elle est traité pour un TDAH depuis l’âge de 5 ans et la mère nous souligne qu’elle était fort agitée en bas âge et particulièrement impulsive. Pour diverses raisons on l’a changé de famille en moyenne une fois par année. Dans sa dernière famille d’accueil, elle fut victime d’intimidation et d’abus sexuel par un autre enfant.
Elle est très alerte pendant toute la rencontre et se laisse facilement examiner. Par contre quand j’aborde la question de ses émotions et de ses nombreux deuils, elle fuit totalement et demande à aller à la toilette. Elle mentionne des difficultés pour s’endormir et me confie qu’elle a souvent de la difficulté à respirer à l’étape du coucher. Elle ajoute qu’elle pense à ce qui l’attend le lendemain avec angoisse ce qui l’amène à s’automutiler parfois.
Malgré son grand désir de plaire tout au long de la rencontre clinique et sa grande détermination, Karine est clairement habitée par une grande détresse et sans doute par une immense colère. Je met un peu en doute son diagnostic de TDAH puisque les marqueurs d’ordre émotif que l’on constate proviennent clairement d’une problématique de poly-traumatismes. Elle a besoin urgemment d’une aide thérapeutique d’ordre psychologique pour éviter le pire.
Bernadette, 11 ans s’amène avec sa maman et une intervenante sociale de la DPJ. Elle est en sixième année scolaire et on la dit première de classe. Facile d’accès, elle prend rapidement le contrôle de la rencontre et elle ne ménage pas ses mots. Dès que sa mère parle, elle la contredit et fait des attitudes dignes des grands ado. Elle n’est jamais d’accord et elle corrige tout le monde autour de la table, particulièrement sa mère, dès qu’elle en a l’occasion.
Elle fut placé vers l’âge de deux ans, à la demande de la mère, à cause de la négligence et de son incapacité à s’occuper de son enfant pour des raisons de santé mentale. Par la suite, il y eu plusieurs allers retours en famille d’accueil et chez la mère. A ce stade-ci, on envisage un retour progressif dans sa famille naturelle d’ici quelque mois puisqu’elle se retrouve dans un foyer de groupe mal adapté à sa condition.
Bernadette est souffrante et super réactive à cause de sa grande insécurité. Elle se sent extrêmement coupable de toute cette situation et elle continue è croire qu’elle est seule responsable de toute cette situation chaotique. Elle est remplie de talents, elle se présente bien, elle peut tout réussir dans sa vie future à la condition de trouver une réelle sécurité qu’elle n’a jamais pu avoir à cause du manque de constance et des nombreuses ambiguités dans ses relations mère-fille. Elle souffre d’un trouble d’attachement insécure et réactionnel qui doit être accompagné également pour éviter le pire. Elle déborde de talents qu’elle peine à admettre.
Enfin, Charlotte, 11 ans qui m’a invité à l’aider à témoigner à visage découvert d’un abus sexuel dont elle fut victime à l’âge de trois ans et demi. Déterminé comme pas une, elle a accepté de participer au documentaire tout nouveau de Denise Robert intitulé «La Parfaite Victime». Elle trouvait que cela n’avait pas de sens de témoigner d’un trauma sans montrer son visage si expressif pour ne plus qu’une telle situation ne se produise chez d’autres enfants.
On devait se présenter devant un juge pour obtenir la permission de montrer son visage puisque la loi interdit à un mineur de le faire. Le juge, après de multiples questions a décidé de l’autoriser à le faire, lui permettant ainsi de faire respecter son droit de parole à sa façon. Il semble que le juge fut impressionné de sa maturité et de sa détermination malgré son bas âge. Elle a donc eu gain de cause.
Je fais ce travail depuis des décennies et je reste totalement impressionné lorsque je rencontre ces jeunes malchanceux mais remplis d’espoir. Je ne peux que continuer à les rencontrer pour les aider à aller de l’avant que ce soit pour se guérir de tant de souffrances tout autant que pour témoigner pour prévenir ce genre de risque et les traumas qui y sont associés. Quand on dit résilience, ces trois jeunes filles n’en manque sûrement pas, elles sont plutôt des porteuses de résilience qu’il faut encourager.