La souffrance humaine nous entoure sans qu’on s’en rende compte bien souvent. Il peut s’agir de nos proches, de gens du voisinage ou de personnes que l’on rencontre au travail. La souffrance a une face cachée de par sa nature même. Elle est honteuse et on n’ose pas l’afficher au grand jour de peur de déplaire, d’être jugés ou même par simple pudeur. On ne raconte pas nos faiblesses au premier venu et on se créera souvent une façade pour la dissimuler le plus possible. Elle n’est pas bien-vue. Les enfants qui la subissent n’échappent d’ailleurs pas à ce phénomène.
La souffrance prend différentes formes mais celle que je côtoie le plus dans mon travail, c’est celle qui est liée aux stress toxiques de la vie quotidienne et particulièrement celle qui est issue de différents traumatismes de vie chez un enfant et sa famille, (abandon, maltraitance, négligence, agression, intimidation, rejet). Cette forme de souffrance prend souvent racine dans les iniquités sociales, la pauvreté lourde et les difficultés de santé mentale, mais pas exclusivement. Cette souffrance est provoquée en grande partie par la société envers l’individu et non l’inverse. Il est donc difficile d’identifier un responsable et un coupable quand on a affaire à des victimes multiples dans la même famille, enfant, parent, fratrie. On peut réagir avec colère à la souffrance d’autrui, ce qui n’avance à rien. On peut cependant réussir à la prévenir et à l’apaiser si on décide de s’y mettre en équipe.

Côtoyer la souffrance dans son travail n’est pas de tout repos. On en parle peu mais elle est source de grands questionnements pour plusieurs intervenants, de grandes peines pour d’autres et de grandes colères pour certains d’entre nous. Elle n’est pas facile à gérer au quotidien et sans apaisements, elle peut provoquer de grands drames allant de l’épuisement au suicide pour une partie d’entre nous. Policiers, ambulanciers, intervenants de la DPJ, infirmières et médecins et plusieurs autres en font souvent les frais. C’est donc un problème majeur qui est encore un peu tabou car on s’attend encore à ce que ceux qui la vivent au quotidien soient fait assez forts pour passer au travers comme par magie.
Notre mission, c’est d’apprivoiser cette souffrance et de tenter de la soulager. Je suis convaincu que chaque personne vivant ce défi, le fait par passion et par bienveillance. D’ailleurs, l’accompagnement, le respect, l’empathie et la créativité pour trouver des solutions font partie des conditions pour bien faire ce travail. Mais il y a plus, un travailleur auprès des enfants vulnérables ne doit pas se retrouver seul avec la peine. Il a besoin de temps pour décanter et décompresser, de moments d’écoute avec des pairs et d’outils pour transformer la peine en énergie. Toute ma vie, j’ai dû trouver du réconfort avec ma femme au souper le soir après une dure journée. J’ai dû faire de vélo ou du patin après les cliniques pour me recentrer l’esprit. et les émotions. J’ai aussi utilisé l’art, (la sculpture en l’occurence), pour transposer la peine en «oeuvre d’art», ce qui m’a permis de passer au travers au jour le jour. Sans ce type d’attentions et d’actions, les dérapages menacent encore chacun d’entre nous.

Quand il s’agit d’enfants en grand état de vulnérabilité, ça devient encore plus touchant et troublant en même temps. Comment est-ce possible que des enfants tombent entre deux chaises, subissent des abus indicibles ou planifient leur suicide. Comment ne pas se trouver nous-mêmes en grande peine à leur contact, une émotion étroitement associée à notre travail au quotidien. Les deux jeunes femmes intervenantes à la DPJ qui se sont suicidée la semaine dernière se sont peux être retrouvées dans cette situation intolérable. En début de carrière, cette peine qui crée un grand vide, nous guette à tous les détours. Faisons donc en sorte que cela ne se reproduise plus, des moyens sont à notre disposition.