Situation 2 de 3 : L’écoute inactive d’adultes en autorité face à l’enfant intimidée par ses pairs
Lors d’une visite clinique de suivi, Suzie nous apparut complètement changée. Elle allait si bien lorsqu’on s’était vu six mois auparavant! Elle semblait alors épanouie et joyeuse, malgré plusieurs grands bouleversements dans sa vie. Ses parents avaient fait la paix; sa sécurité affective s’était beaucoup améliorée, grâce à l’accompagnement d’une grande amie; et elle avait aussi réussi à rattraper un retard scolaire, grâce à un soutien intensif offert dans le centre de pédiatrie sociale en communauté.
Aujourd’hui, Suzie se présentait à nous avec l’air sombre, terne, la flamme de son regard éteinte. Cherchant de l’aide, elle avait demandé à nous voir d’urgence. Des jeunes de son école l’agressaient physiquement et psychologiquement. De façon quotidienne et systématique, ils la dénigraient, l’ignoraient et la menaçaient même de représailles si elle les dénonçait. Pendant plusieurs mois, elle subissait des sévices et elle n’en pouvait plus. On peut comprendre que ces actes d’intimidation et d’agression généraient un important sentiment d’anxiété.
La mère avait bien tenté d’interpeler l’école et la direction. On écouta Suzie tout en banalisant la situation, laissant entendre qu’il y avait bien deux versions à l’affaire. Faisant pattes blanches, l’école suggéra à Suzie d’entrer par la porte principale, afin d’éviter les contacts avec ses prétendus intimidateurs. Le problème étant vraisemblablement réglé en ce qui a trait à la responsabilité de l’école, aucune autre rencontre avec la directrice ou le personnel n’était jugée utile. Or, Suzie ne dormait plus et était envahie par des cauchemars. Elle refusait de manger et elle cessa même de sortir de la maison par peur. Elle refusait même de se rendre à l’école en matinée, et sa mère devait l’y conduire de force. Récemment, elle avait commencé à se dénigrer et à parler de mort.

Que doit faire l’enfant intimidé, lorsque des adultes chargés de la protéger et de faire respecter sa dignité ne la prennent pas vraiment au sérieux ? Que doit penser l’enfant lorsque les personnes en autorité refusent de voir l’impact des actions d’intimidation et d’agression sur la dignité de l’enfant et l’ensemble de ses droits ? Comment Suzie peut-elle ne pas avoir des doutes sur sa valeur en tant qu’être humain, alors que des jeunes de son âge lui lancent des insultes en la qualifiant de « nulle, pute et affreuse » ? Comment peut-elle ne pas commencer à y croire elle-même, lorsque ses intimidateurs sont libres de continuer ?
En tant que pédiatre, cela ne me rassure guère de constater que personne du milieu scolaire n’ait réagi au changement profond et rapide de cette enfant, passant d’un état de joie et de lumière à celui de détresse et de noirceur. Comment peut-on ignorer l’intense tristesse chez un enfant ? Comment peut-on être si insensible à un enfant lorsqu’on la côtoie au quotidien ? Malheureusement, le cas de Suzie est loin d’être une anecdote. On doit soigner et outiller plusieurs enfants qui subissent le même sort dans le milieu scolaire.
Je ne favorise pas le lynchage public – le risque de dérapage étant trop grand. Je préconise plutôt une action intensive et immédiate d’adultes responsables, lorsqu’un enfant a le courage de dévoiler des agressions sur sa personne. Sauvegarder la sécurité et la dignité d’un enfant dans des situations d’abus est de première importance, quel que soit l’âge de l’agresseur ou le statut social qu’on donne à ses parents. Lorsque l’enfant victime se ferme et se blesse davantage face à l’inaction d’adultes significatifs, je suis d’avis que cette fuite de responsabilité devient tout simplement inacceptable et que cette pratique devrait être condamnée. J’irais jusqu’à dire qu’il s’agit d’aveuglement volontaire qui permet aux intimidateurs de continuer impunément leurs agressions sur l’enfant victime. Je ne serai pas surpris lorsque ces enfants victimes signaleront à #moi aussi (#me-too) l’inaction d’adultes en autorité!
Pour notre part, à la clinique, nous nous sommes assurés, ce jour-là, de bien écouter et de comprendre l’état de la fillette pour ensuite l’assurer de notre assistance à plusieurs niveaux, y compris celle de panser ses plaies et de retrouver sa vitalité. En parallèle, des démarches ont été amorcées par l’équipe pour rencontrer la direction de l’école en compagnie de la maman et de l’enfant. Nous utiliserons tous les moyens possibles, pour faire cesser cette pratique non respectueuse des droits et de la dignité de trop d’enfants.